Mon nez


"C'est un roc ! ... C'est un pic... C'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? ... C'est une péninsule !"
Cyrano de Bergerac, Acte 1, Scène 4.


Moi, 4ième B, deuxième rang à gauche, m’enfonçant dans mon siège en lisant à haute voix la tirade tant redoutée.
Adolescente complexée, Acte 1, Scène 1.


Les complexes d'une ado

Je me souviens de ce moment hypra génant comme si c'était hier. D'ailleurs je crois que je l'avais redouté dès que j'avais appris que ce bouquin était au programme... Moi, adolescente en pleine croissance, avais vu son petit nez fin d'enfant sage muer en même temps que la voix de ses copains de classe, en gros machin informe et bossu. Et comme si ce n'était pas assez gênant de me le trimbaler en pleine face toute la journée, cerise sur le gâteau, je devais lire LA tirade de 50 lignes d'autodérision sur l'énorme nez du Monsieur. Sympa la vie !

Ce nez a été pendant bien des années la source principale de mes complexes physiques. Je le trouvais trop  présent, trop grand, bossu. Il me faisait un profil dur, froid, méchant. Il ne me ressemblait pas du tout. Je me revois à incliner les miroirs de la chambre de mes parents pour étudier sous toutes les coutures ce nez détesté. Je réajustais ma coiffure 10 fois pour être sûre d'avoir "le moins pire" des profils. Evidemment, j'ai testé la mèche sur le côté, la mèche de l'autre côté, la frange, les cheveux en pleine face, la queue de cheval explosive, le chignon haut, le chignon bas, le tout pour essayer de camoufler au mieux le nez disgracieux. Evidemment, ça n'a servi à rien. Il était toujours là. Moche. Mais je crois que le truc le plus ridicule que je faisais, et qu'à cet âge de séduction maladroite, j'essayais toujours de ne pas me montrer de profil devant l'élu de mon cœur. Vous savez cette période où vous vous scrutez du regard, du coin de l’œil dans la cour de récré. Bah moi, j'étais toujours au taquet, et jamais de profil ! 

Et puis comme toujours, il y a les autres. Les vilains-pas-beaux qui vous renvoient encore plus à vos complexes. 
Je me souviens de ce garçon qui m'avait dit me trouver jolie de face mais que j'avais un profil "bizarre". (Aujourd'hui cet individu est un looser. Merci la vie.)
Je me souviens d'une personne de mon entourage me faire remarquer que j'avais un nez masculin, soit celui de mon frère et de mon père. Sympa la dame. (Qui soit dit-en passant s'était fait refaire le nez dans les années 80 pour cause de cloison nasale déviée. Mouai mouai mouai).

Une norme qui n'est pas la mienne

Parce que le nez d'une fille, dans notre société, doit être petit, fin, mignon. Ah et s'il a une petite pointe retroussée, c'est parfait !
Je crois tout simplement que c'est l'idée toujours très lisse que l'on voudrait se faire de la femme ou plus largement encore, de l'uniformité physique vers laquelle certains voudraient tendre. 
On est toujours matraqué par ces physiques uniformisés : un petit nez donc, des dents blanches, une peau lisse, des pommettes saillantes, une taille fine accompagnée de quelques formes bien placées, le cheveu long, lisse, soyeux et blond de préférence, bref ... la fenêtre de tir est tellement étroite qu'elle en devient inatteignable

Non les princesses Disney et leurs petits nez fins en trompette n'ont pas le monopole de la beauté. Et puis le nez, comme d'autres caractéristiques physiques, est aussi lié à une appartenance ethnique. Ce qui fait que cette croyance du nez parfait "à l'occidentale" me dérange encore plus. Je me souviens de cet article sur le succès de la rhinoplastie en Iran ayant pour conséquence la "disparition" du nez Perse ou encore de tous ces gadgets farfelus en vente sur le net, comme le nose lifter, qui vise à modifier l'apparence de son nez en un clin d’œil. 

Un nez après tout, c'est comme le reste du physique. C'est diversifié et c'est très bien.

Et puis surtout, on n'est pas qu'un nez ! Je suis une femme en 3 dimensions, avec toute la panoplie caractéristique des êtres humains. Et donc, ce qui fait l'attrait d'une personne (puisque lorsque l'on parle de nez disgracieux, on parle quand même de séduction), c'est la personne tout entière, dans son ensemble ! La façon dont elle se meut, son rire, le regard qu'elle porte sur les autres, sa façon de s'exprimer, ses gestes, son allure que vous pouvez même saupoudrer d'un style vestimentaire et d'une jolie coupe de cheveux ... mais personne n'est juste un nez tout seul, qui se baladerait avec une pancarte lumineuse "et oh regardez comme je suis différent !".

Oui mon nez on le voit. On ne peut pas le louper. Surtout quand il a la chance d'être orné d'un coup de soleil ou du "bouton du mois" ! Je ne vais pas vous dire que mes complexes ont totalement disparu (oui, je me surprends encore à incliner le miroir de la salle de bain pour observer mon profil), ni que j'aime mon nez. Mais je l'accepte comme il est. Il ne traduit pas une personnalité mais il fait partie de mon identité physique. En partie. Il est un héritage physique de mon papa, un héritage ethnique aussi, oui c'est vrai, et finalement j'aime bien ça.


La ligue des défenseurs des nez arqués

Je profite de cette ode à mon nez, pour vous parler du travail d'une artiste allemande d'origine afghane que j'aime beaucoup : Moshtari Hilal. Elle travaille autour des stéréotypes (le nez est SON sujet) avec des œuvres assez, disons, troublantes et loin des standards de beauté  trop lisses que l'on a tous malheureusement ancrés en nous. Des femmes au long nez, au duvet visible, au mono-sourcil ou aux traits forts. De quoi s'ouvrir l'esprit et s'éloignez peu à peu de l'image uniformisée de la femme.

Et puis tant que j'y suis à parler des nez et des vrais visages de femmes, comment ne pas citer Rossy de Palma, une des actrices emblématiques d'Almodovar :

"Mon nez ? Il vient de mon père. C'est un nez celte. Il n'est pas bizarre, il est cubiste. Soit je le rabotais pour devenir comme tout le monde, soit j'en faisais un accessoire. J'ai choisi la seconde option. La beauté, c'est l'audace, c'est ne demander à personne la permission d'être toi."

Tout est dit.

Bisous d'esquimaux.

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